[ Une voyageuse au-dessus d’une mer de nuages ]
Paysages abstraits
Dans son travail le plus récent, l’artiste parisienne Brankica Zilovic Chauvain (née en Serbie en 1974) présente une série de paysages abstraits exécutés au crayon sur papier ou au fil et au textile sur de la toile de lin – et entièrement en noir et blanc.
Ces œuvres se distinguent ainsi nettement de ses créations colorées et figuratives de la décennie passée, qui remontent à son passage à l’École supérieure des beaux-arts de Paris, dans les années 1990. Elle découvre, à cette époque, les écrits de Roland Barthe et l’art de Ghada Amer, ce qui suscite une réflexion prolongée sur les femmes, la mode et la société.
Aujourd’hui, Zilovic privilégie une approche purement graphique qui intègre et s’appuie sur le langage pictural qu’elle a élaboré à travers les années. L’artiste a déplacé le centre de son attention du corps humain au paysage – mi-rêvé, mi-réel. Elle transpose visuellement la poésie et la force énigmatiques de la nature.
Incarnations éthérées
Comme suspendues en plein ciel, les compositions paysagères de Zilovic apparaissent au milieu du papier ou du lin. Entourées de beaucoup de blanc, elles semblent planer hors du temps comme des nuages délicats qui émergent doucement d’horizons lointains ou comme des îlots isolés d’un archipel inexploré qui surgissent miraculeusement de la mer. Elles ont quelque chose de mystérieux qui saisit et s’empare de notre attention, quelque chose qui incite l’œil à découvrir les détails nombreux de cette nature venue d’un autre monde.
Le regard glisse ainsi sur les surfaces lisses, sonde les profondeurs sombres et s’arrête pour étudier des ovales – des sortes de galets – répétées de manière presque obsessionnelle. Il prend note des lignes subtiles en gris par ici ainsi que des zones foncées ou gommées et re-travaillées en hachures par-là. Les rythmes circulaires promènent le regard de haut en bas, dedans et autour des méandres graphiques. Les paysages de Zilovic saisissent notre prunelle et s’emparent de notre imagination.
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Dépourvues de présence humaine, le regardeur devient le témoin privilégié de ces formations rocheuses. C’est comme si nous occupions la position du voyageur représenté par Caspar David Friedrich dans Un voyageur au-dessus d’une mer de nuages (1818), c’est-à-dire de la figure solitaire presque craintive d’admiration devant la nature et qui s’arrête en haut d’une montagne pour observer les nuages en contrebas. Lumineuse, claire et minérale, l’œuvre de Zilovic donne un souffle d’air frais.
En effet, l’artiste se rapproche de la manière selon laquelle le peintre allemand du XIXe siècle exprime la dimension métaphysique de la nature. Zilovic considère ses propres travaux comme des « métaphores de l’indéfinissable ». Plutôt qu’un lieu spécifique, explique l’artiste, elle vise à communiquer cette énergie et cette sensation d’immensité que certains lieux nous procurent : « C’est cette énergie-là que j’ai envie de transmettre dans mes paysages, (...) ces immensités, cette force qui me bouleverse. »
On peut retrouver la trace d’une des sources d’inspiration de Zilovic dans ses origines. Enfant, elle adorait la vie au grand air. Elle passait beaucoup de temps à grimper, à faire des randonnés et à skier dans les Alpes dinariques serbes. Aujourd’hui, l’artiste continue à profiter de chaque occasion d’aller chercher les hauteurs et les glaciers enneigés. Son expérience des Alpes françaises, des Rocheuses ou des canyons et des vallées de l’Ouest américain – des endroits qui inspirent et réduisent l’homme non loin de l’état d’insignifiance – marque Zilovic profondément.
L’artiste puise également son inspiration dans une grande variété de références visuelles et artistiques. Des photographies – personnelles ou tirées de la presse – des documentaires télévisés ou des extraits d’Internet de géographies lointaines permettent à son esprit de voyager virtuellement.
De manière similaire, des œuvres d’art – contemporaines ou anciennes – la stimulent et lui donnent de l’impulsion créatrice. Zilovic travaille actuellement, par exemple, sur une série de dessins notamment inspirés par les falaises qu’on aperçoit en arrière-fond de la Crucifixion (1457-59) de Mantegna. Elle étudie également des gravures japonaises de près, comme l’œuvre de Utagawa Hiroshige, Vue des tourbillons de Naruto à Awa du XIXe siècle, dans laquelle des spirales blanches évoquent les écumes des eaux turbulentes apprivoisées par leur rendu délicat en aplats de couleurs douces. |
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Rêveries surréalistes
Les paysages abstraits de Zilovic peuvent être façonnés par des lieux et des expériences réelles, par des images ou par des œuvres d’art. Son processus de création reste néanmoins profondément intuitif.
« J’accepte ces états du flou et de l’incertitude. Je laisse surgir toutes mes références, toutes les images, tout ce que je contiens en moi, » relate l’artiste. Elle trace un chemin subtil entre le conscient et l’inconscient. Des pensées abstraites et des émotions surgissent, des souvenirs lointains se coagulent, se déforment, se liquéfient et se solidifient de nouveau. Des lignes, des formes et des textures émanent ainsi librement et fusionnent dans des ensembles organiques. L’artiste observe : « Les dessins naissent sous mes yeux. Je ne contrôle pas le trait. Il y a quelque chose de très aléatoire ». Zilovic crée ainsi des paysages rêvés ancrés dans des références artistiques ou tirés de la réalité – mais ils ne sont dans aucun cas savant, ni véritablement figuratif.
C’est grâce à ce type d’automatisme – une technique élaborée et célébrée par les surréalistes dans la première moitié du XXe siècle – que des mondes intérieurs se déploient, provenant de souvenirs enfouis et surgissant de références visuelles profondes. Des figures daliennes, à la fois solides et liquides, rocheuses et charnelles, se matérialisent, comme l’élément central dans Paysage aux nageoires (2008) qui fait écho au Narcisse de Dali transformé en pierre dans Métamorphose de Narcisse (1937). « J’aime bien quand on décèle dans le méconnaissable quelque chose de reconnaissable », observe Zilovic, « Dans l’abstrait, on trouve quelque chose de réel. »
Jamais classique : des Contre-coutures aux traits graphiques
Zilovic quitte Belgrade pour Paris en 1998 pour étudier auprès de son compatriote Vladimir Velickovic. Impressionnée par son style expressif, Zilovic débute elle-même en tant que peintre. Or, il ne s’agit certainement pas d’une coïncidence si Zilovic commence à interroger les codes et les images de la mode dans cette capitale de la création et son deuxième professeur, Dominique Gauthier, l’encourage à intégrer du textile dans ses œuvres. Elle entame ainsi des hybridations de plus en plus audacieuses des techniques traditionnelles de la couture et de la broderie, et de l’expression visuelle contemporaine. En effet, les « contre-coutures » de Zilovic surprennent et vont à l’encontre des attentes à la fois de l’artisanat domestique et de l’art actuel. |
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Dans son travail le plus récent, elle continue à employer cette technique dont la force repose en partie sur le brouillage des frontières (l’art et l’artisanat, l’avant-garde contemporaine et le folklore traditionnel, etc.).
« Si j’abandonnais l’utilisation du fil complètement, j’aurais peur de devenir banale, voire trop classique » explique l’artiste. Son œuvre
« piquée » constitue une révolte silencieuse, une façon de remettre en cause les normes établies par le détournement des techniques artistiques et l’introduction de celles habituellement exclues.
Qui plus est, ses nouveaux dessins (Zilovic n’avait pas fait recours à ce moyen le plus fondamental de l’expression artistique depuis des années) profitent des années d’expérience de cette méthode de création particulièrement physique. En effet, ses œuvres sur papier révèlent des gestes vigoureux ainsi qu’une grande attention prêtée aux textures, aux motifs et aux effets de matière.
En même temps, son choix récent de crayon et d’encre joue un effet de ricochet sur les « dessins » sur lin, dans le sens où Zilovic abandonne momentanément la couleur au profit du noir et du blanc. L’œuvre textile anime et nourrit le dessin et vice-versa.
Dans ses dernières œuvres, Zilovic déplace ainsi le centre de son attention du corps au paysage. Cela la libère plus que jamais du domaine du figuratif et fait tendre son travail vers l’abstraction. Son intuition suit son libre cours. C’est en combinant ainsi la force de son expérience avec une assurance et une spontanéité renouvelées que Brankica Zilovic Chauvain approfondit et étend son vocabulaire artistique.
Nicola Marian Taylor |
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[ Traveler above a sea of clouds ]
Abstracted landscape
In her most recent work, Parisian artist Brankica Zilovic Chauvain (born in Serbia in 1974) presents a series of abstracted landscapes executed in pencil on paper or in thread and fabric on mounted linen – and entirely in shades of black and white.
She thus offers something completely different to her colorful and more figure-oriented creations of the past decade that go back to her days at the École Nationale Supérieure des Beaux-Arts in Paris in the mid 1990s. This is when the discovery of Roland Barthe’s writings and Ghada Amer’s artwork sent Zilovic on a lengthy reflection on women, fashion and society.
Today, Zilovic elects for a purely graphic approach that integrates and builds on her pictorial language which has emerged over the years. The artist has moved the focus of attention away from the human body towards landscapes – part real, part dreamed – visually transposing the forceful and enigmatic poetics of nature.
Ethereal nature
As if suspended in mid-air, Zilovic’s landscape compositions appear in the middle of white paper or linen. Surrounded by ample space, they seem to hover timelessly like delicate clouds that gently emerge from distant horizons or isolated islands of an uncharted archipelago that miraculously rise from the sea. There is something mysterious about them that grabs the attention, something that makes the eye want to discover the many details of this other-worldly nature. We thus glide over the smooth surfaces, delve into the dark crevices and stop to consider the obsessively repeated pebble-like forms. We note the delicate lines of grey here as well as the darkened, hatched and re-worked surfaces there. The circular rhythms take us up and down, in and out. Zilovic’s landscapes catch our gaze and grab hold of our imagination.
Devoid of any human presence, we become the privileged witnesses of these rocky formations. It is as if we took the position of the traveler depicted by Caspar David Friedrich in Traveler above a sea of clouds (1818), a lone figure in awe of nature who rests at a vantage point to admire the sea of clouds beneath. Luminous, bright and mineral, Zilovic’s work is a breath of mountain-crisp air.
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Indeed, the artist approaches the 19th century German painter’s way of expressing nature’s metaphysical dimension and views her own creations as “metaphors of the indefinable”. Rather than depicting a particular place, explains the artist, she “aim(s) to communicate that energy and feeling of immensity that certain places can give us”. Zilovic thus graphically recreates the dramatic impact of mountain peaks, lakes and vast spaces. One of Zilovic’s sources of inspiration can be traced back to her Serbian roots. A child of the outdoors, she spent a lot of time climbing, hiking and skiing in the Dinaric Alps. Today the artist continues to take every occasion to seek out heights and snowy glaciers. Her experience of the French Alps, the Rocky Mountains or of the canyons and valleys in the western parts of the USA – awe-inspiring places that reduce any human presence to near insignificance – affect Zilovic deeply. She thus taps into memories of past experiences.
Zilovic also borrows from a variety of visual and artistic references. Photographs, personal or magazine images, TV documentaries and Internet snippets of far away locations allow her mind to travel in a virtual manner and feed her imagination. Similarly, artworks – contemporary or old – stimulate her mind and provide creative impetus. Zilovic is, for example, currently working on a series of drawings particularly inspired by the rocky cliffs in the background of Mantegna’s Crucifiction (1457-59). She is also carefully studying Japanese prints, in particular Utagawa Hiroshige’s nineteenth-century View of the whirlpools at Naruto, Awa province, in which white spirals evoke the turbulent, foaming waters tamed through a tranquil rendering in blocks of color.
Surrealist reveries
Zilovic’s abstracted landscapes can be informed by real places, experiences, images and artworks, yet her creative process remains deeply intuitive. “I accept states of ambiguity and uncertainty. I allow all images, references, everything that’s within me to rise to the surface,” says the artist. There’s a fine line between the conscious and subconscious. Vague thoughts and emotions materialize, distant memories coagulate, distort themselves, liquefy and re-solidify. Lines, shapes and textures
flow freely and merge into organic wholes. |
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Zilovic observes, “… the drawings are born before my eyes. I don’t control them. There’s something very unpredictable about them.” Zilovic thus creates dreamscapes grounded in artistic and other, real-world references but they are in no way scholarly, nor strictly representational.
It is thanks to this type of automatism – a technique explored and celebrated by the early Surrealists – that inner worlds unfold, emanating from distant memories and flowing forth from deep-seated visual references. Daliesque figures, at once solid and oddly liquid, both rock-like and carnal, materialize such as the central element in Paysage aux nageoires (2008) which echoes Dali’s Narcissus turned to rock in Metamorphosis of Narcissus (1937). “I like it when the viewer can recognize something in the unrecognizable,” comments Zilovic, “There’s always something very real even in the abstract.”
Never classic: from Counter-stitches to pencil graphics
Zilovic moved from Belgrade to Paris in 1998 to study under countryman Vladimir Velickovic. Impressed by his expressive style, Zilovic herself began as a painter. However, it is no coincidence that Zilovic began to question the codes and images of fashion in one of the most important fashion capitals of the world and it is her second tutor, Dominique Gauthier, who encouraged her to integrate textiles into her work. Zilovic thus began a daring cross-over between traditional sewing and stitching methods and contemporary visual expression. Indeed, Zilovic’s Contre-coutures or “Counter-stitches”1 are a way of going against the grain of expectations.
In her most recent work she continues to use this technique whose forcefulness relies in part on the blurring of frontiers (art versus craft, contemporary avant-garde versus traditional folklore, etc.). “If I abandoned the use of thread entirely, I would fear becoming banal and classic,” states Zilovic. Her work is a personal language of quiet revolt, a way of questioning artistic traditions by the subversion of its own techniques and the introduction of those traditionally excluded.
Furthermore, her recent drawings (she hadn’t made recourse to this most fundamental means of artistic expression in years) benefit from years of experience in this particularly physical means of production. Indeed Zilovic’s works on paper often reveal intensely vigorous gestures as well as a great concern for textures, patterns and material effects. |
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At the same time, her recent choice of pencil and ink has a ricochet effect on the linen “drawings” in the sense that Zilovic has temporarily abandoned color and employs only black and white in her latest work. The textile work infuses the draftsmanship and vice versa.
In her latest work, Zilovic thus shifts her focus from the body to landscapes. This frees her œuvre more than ever from the figurative realm and brings it closer to abstraction. The artist allows her intuition to flow freely. It is by thus combining the power of past experience with renewed assurance and spontaneity that Brankica Zilovic Chauvain deepens and expands her artistic vocabulary.
Nicola Marian Taylor |
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[ Paysages de rêverie ]
Le paysage est comme une grande image offerte au laisser-aller de l'imagination, de la rêverie, du songe. Qui ne s'est jamais surpris à voir dans telle colline un animal endormi prêt à surgir des buissons ? Qui n'est jamais parti en voyage virtuel en admirant l'horizon au-dessus d'une vallée, d'un désert, d'une crevasse, d'un glacier, d'une delta...? Qui ne s'est jamais hissé au plus haut de lui-même en fixant son regard au sommet d'une montagne ?
Cette lecture rêveuse du paysage, Brankica Zilovic-Chauvain la reprend pour elle-même dans sa nouvelle série de toiles et de dessins. Le fil, sa substance de prédilection, tisse, trace, dessine les contours de paysages énigmatiques, surprenants, catalyseurs d’illusions. Avec une légèreté extrême, des nuages floconneux tout recouverts de neige répandent leurs pluies grisâtres dans un ciel translucide. Or, ces nuages, ne seraient-ils pas plutôt des monts et des vallées tout irisés d’un givre troublé par la pluie d’un ciel menaçant ? Chacun trouve sa réponse, chacun fait jouer son regard : la vision est double, triple…et bien plus.
Nous sommes dans le mystère, dans l’irrationnel, une nouvelle fois à la frontière ténue entre abstraction et représentation. Brankica Zilovic-Chauvain aime rester dans cette zone incertaine propice à toutes les propositions graphiques. Ses toiles et ses dessins se répondent en parfait écho dans des tonalités de noirs et de blancs. Osé ! pour cette artiste adepte de la couleur éclatante. Ce choix de l’épure dans les teintes émane d’une volonté de concentrer l’attention sur les formes, les contours, les volumes, les lumières. Le paysage noir-gris-blanc est inédit, majestueux, intrigant. On pense forcément aux formidables gravures de Dürer pour la finesse du trait et la puissance d’évocation. On pense aussi aux grisailles des vitraux du moyen-âge pour les intensités sombres ou lumineuses. Comment ne pas évoquer encore des testes de E.Foch, G.Bachelard, H.Michaux, sur la force d’inspiration de la montagne, ou bien les impressionnantes descriptions d’Hermann Broch dans son roman «Le tentateur».
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[ FILAnaTURE ]
Le fil conducteur de mon parcours dans l’œuvre de Brankica Zilovic s’est déroulé il y a quelques mois à peine, aux pieds de montagnes ne tenant qu’à un fil, car fragilisées par le poids de nuages lourdement rembourrés. La toile “hidden clouds”, tendue sur châssis, affirme sa légèreté grâce aux tracés cousus de fils mercerisés qui dessinent de complexes sinuosités. Celles-ci donnent naissance à de graciles pics incapables de porter ces structures cousues, gonflées de leur embonpoint. C’est ainsi que l’artiste signifie paradoxalement la contradiction entre la pesanteur de vapeurs célestes, exprimés par ces textiles ballonnés et la mouvance linéaire d’un paysage immatériel, fil retors d’un éboulis géologique.
Si je m’attarde sur cette composition, c’est sans doute qu’elle inaugure ma première rencontre avec l’œuvre de Brankica, en synthétisant le droit fil de l’orientation de ma pensée, tout au long des cheminements qui me font pénétrer profondément cet univers. De fil en aiguille, par voie d’enchainement, j’accompagne le tracé des fils fragiles qui quelquefois se brouillent, d’autres fois se tendent entre des points d’attache. Ils peuvent aussi s’alourdir de laine noire et épaisse, ou se déchirer au cœur de moisissures blanchâtres et duveteuses. Ainsi ces territoires, bouillonnant quelquefois autour d’un vide, peuvent le ceinturer ou au contraire se faire piéger par lui. Je suis en permanence à me donner du fil à retordre en m'évoquant grâce à ces images, la certitude d’un espace à conquérir, tout en suivant le fil des idées, du doute et de l’incertitude. Au cœur de ce monde, peuvent naître des fils semblant aspirés par la toile support. Dans ces cas, il me reste à tenir en main les fils d’une affaire de caresse, qui me permet de participer à ce jaillissement vertical, me faisant ascensionner vers le bord supérieur de la toile, qui devient par ce fil peigné, un monde céleste et infini, par l’inconnu qu’il évoque.
Une œuvre titrée “constellation montagne” m’accroche alors à l’exploration envoûtante d’une carte cosmique. De multiples points de couture, sont reliés par des fils tendus; comme on aime les dessiner mentalement devant un ciel étoilé. L’artiste, en partie inférieure de sa composition, dessine une sorte de mécanique abstraite et mystérieuse, qui devient en partie haute un cheminement en ascension abrupte de pics montagneux. Ainsi cette “constellation” devient construction géologique, traversée par de grands mouvements torrentueux, qui après avoir été barrés d’épais fils de laine noire, deviennent de
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bulbeux mouvements baroques. Leur enroulement répétitif donne naissance à de multiples fils cousus parallèlement, qui font danser des demi-cercles, accumulés au lointain. Par les turbulentes rencontres de tracés tendus, de coulures hésitantes, de gestes violents et lourds, l’artiste m’offre le plaisir de me perdre dans une nature qui fait basculer le ciel constellé, au cœur de mes rêves, nés de ma contemplation de la voûte céleste. Ce vertige spatial, paradoxalement encore, me ramène les pieds sur terre. Pourtant devant le sol tempétueux d’”une fiction encastrée” je me retrouve les pieds dans l’eau! Car si maintenant je suis le fil d’une histoire “fiction” qu’il me plait de piétiner, je sors de la mouvance de ces vagues pour respirer, en accord avec de souples fils échappés de leur primitif encastrement cousu. Ils montent librement à l’assaut de la toile, en la frôlant, sans pour autant s’y agripper. En arrière plan vient de naître une forme ballonnée, encore à moitié enterrée dans une farfouilleuse moisson de foin, nature. Le natif gonflement de cette sphère porte des hexagones de tissus sensuels, qui évoquent à la fois et paradoxalement, la géométrie incontournable d’un ballon, et l’apparence troublante de sa mobilité. C’est alors que l’artiste me propose la mouvance d’un “paysage dissipé”. Cette fois je suis entrainé par les fils épais et noircis de chaînons, qui semblent piéger une nature ne pouvant échapper à la filature de sa complexité. L’évocation d’une chaîne de montagnes semble vouloir s’affirmer, en dépit d’une chaleureuse confusion de fils embrouillés, qui condamnent toute respiration. Les courbes de niveau sensées exprimer le volume géologique, tournent en rond à l’intérieur de ces anneaux. Les fils, emprisonnés quelquefois, arrivent à fuir mais peuvent tomber tristement. Etrangement, ils semblent toutefois remporter une petite victoire, car dans ce combat, la chaîne agressive perd en partie sa densité et n’offre à mon regard, que le pourtour de son tracé, vidé de toute substance.
De quelle substance va maintenant me nourrir ce “dessous de paysage 1” qui se présente en diptyque? Je devine sous la toile tendue une complexe danse de fils, croisant leurs chemins à l’assaut de pics alignés. C’est alors que je perds pied en transformant cette devinette en prise de conscience d’un retournement de la nature. Dans la partie supérieure, des morceaux de toile découpée, cousus par leur pourtour, sont habités de circonvolutions parallèles. Brankica leur fait abandonner en partie leurs fils de fixation, tout en gardant leurs attaches d’origine. Ces traits filiformes ne peuvent que descendre dans le vide au dessus de ce paysage renversé. Par la séparation de ces deux panneaux, le décalage de formes accentue cette chute en abîme d’une nature qui me fait perdre le fil de ma logique, par ce dessous que je ne perçois que grâce à ce qui est dessus!
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Un ensemble de quatre “dessous de paysages” me donne à voir la couture filée d’un parcours précis, contournant le simple schéma d’une montagne donnant l’impression d’une ascension sécurisante. Dessous ce support satiné, qui peut briller de simplicité, apparaissent alors, soit des constructions géométriques, soit des circonvolutions organiques. Quatre fois de plus maintenant, le paradoxe entre élémentarité et complexité, me trouble par dessous. Des fils beaucoup plus gros que ceux du premier plan, opposent la rectitude d’un tracé, la construction d’un empilement, à la légèreté agreste du paysage. Ailleurs, c’est de la même façon, mais cette fois par la mouvance de gigantesques doigtés, ou l’enroulement “bibendum” de contorsions, que ce paysage fait flotter sa fragilité dentelée au dessus d’un dessous déstabilisant.
Maintenant il fait bon de retrouver le calme et la tranquillité d’un fil cardé, sans effets, toujours de même épaisseur, et qui va créer en les contournant, des “paysages simples”. Une fois de plus, l’artiste me donne la sensation de simplifier son parcours. J’accompagne les mouvements circulaires et répétitifs de ces fils câblés qui contournent le vide d’un lac, exprimé par l’absence de tout signe couturé. Sans m’y noyer, je découvre l’absence de pesanteur d’un paysage flottant dans l’irréalité d’un rêve suspendu. Le deuxième “paysage simple” m’offre la possibilité de circuler autour d’une platitude, vide cette fois de toute allusion paysagère. Impossible pour moi d’en faire le tour, car les masses qui le cernent s’ouvrent ou se ferment comme une pince. Celle-ci complique son articulation par des superpositions de faisceaux de fils, qui créent une nouvelle rythmique, excitante et éventuellement phallique. La “simplicité” allusive de ce “paysage” est loin d’être élémentaire! Le dernier contrairement aux autres, rassemble au fil de son parcours des échantillons géologiques. L’artiste brode falaises porteuses de montagnes en resserrant les soubassements, comme pour déstabiliser leurs assises. Celles-ci sont curieusement mises en péril par les demi-cercles croisés de bulbeux massifs arborés...Oublions cette trop directe lecture paysagère, car là encore je retrouve le geste cousu et ambigu de Brankica, qui semble fermer en ses mains, cette savoureuse croûte terrestre, posée sur les pilotis tremblants de son imaginaire trouble. Ici rien ne tourne autour d’un vide, mais contrairement aux autres “paysages simples”, tout se serre en un objet à déguster, car présenté précieusement unique dans l’espace. |
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Toujours entre simplicité et complexité, ordre et désordre, un certain “fil d’Ariane” me guide vers une lecture naturelle et perverse à la fois, d’une série de dessins sur papier. Rien de plus simple, et pourtant je pénètre à l’intérieur de paysages magiques. “my sparking star” m’offre au bas de montagnes apparemment classiques, l’étincelante étoile d’un double jambage surréaliste. Si le fil du trait de crayon entraîne mon cheminement visuel au centre de ce chaos flottant, c’est que de place en place, de petites surfaces humides s’introduisent avec perversité, et par la technique du lavis, contredisent le fil du rasoir impassible du crayon.
Un autre dessin peut alors m’entrainer dans “la vallée de la tornade” ou me faire aimer l’arc en ciel, qui ne se contente pas de représenter le demi-cercle du “rainbow”, mais met en opposition les parties gestuellement marécageuses de ce monde, avec la géométrie cinétique d’un ciel mécanique.
Tout dans l’œuvre de Brankica Zilovic, joue des contradictions entre tension et bouillonnement, entre rigueur et improvisation. Les grands dessins “déjà vues” et “un panoramique parfait” étendent avec soin et préciosité, la longueur d’un parcours contrôlé, tout en créant par leur matière, le fil tendu d’une traversée de l’espace.
Brankica, artiste hors normes, me donne à voir et à sentir au fil de ses pages brodées, l’apparence classique de son univers, tout en déconstruisant, par l’originalité de la filature de son mode d’expression, une “naturelle” qu’elle invente au fil de l’eau, en nous offrant (à tous) le plaisir d’y naviguer.
Bernard Point |
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[ Arijana u zemlji cuda ]
Gledajuci nove slike Brankice Zilovic ne mozemo a da ne pomislimo na jednu od najuzbudljivijih prica grcke mitologije, pricu o Arijani. Ova asocijacija nije samo formalna, jer u nasoj svesti konac olicava inteligenciju, intuiciju i rafiniranost ljudskog duha. Medjutim, za razliku od Arijane koja daje Tezeju koncano klupko kako bi mu pomogla da resi misteriju lavirinta, Brankica koristi konac kao materijal za gradnju cudesnog lavirinta pejsaznih formi cija je osnovna funkcija evolucija i promena naseg vizuelnog iskustva.
Seriju vezenih slika prate crteži olovkom na papiru koji imaju slično polazište. Iako se u oba slučaja radi o linearnom pristupu, Brankica je ispoštovala neke od tehnoloških specifičnosti ova dva ipak udaljena medija. Korišćenje frotaža, znači teksture podloge na kojima su nastali crteži, koje bi bilo nemoguće, a i nepotrebno simulirati tkanjem, možemo dovesti u vezu sa nadrealnim pejsažima Max Ernsta. Na slikama, pak, isprekidana ili iskrzana linija konca tvori čudesne nervne sisteme od kojih su sastavljeni krajolici.
Veženje i tkanje su neke od osnovnih delatnosti i predstavljaju identitet kraja iz koga je potekla, ali umetnica ne koristi kao inspiraciju njegove etnografske karakteristike i folklor koji su sigurno deo njenog kulturnog i vizuelnog nasledja. Pre bi se moglo reći da se Brankica izražava jednim univerzalnim jezikom u kome su konac i aplicirane tkanine samo sredstva za novi doživljaj jedne od centralnih tema istorije slikarstva kakva je pejsaž.
I pored toga što su vodjeni umetničkom intuicijom i težnjom za apstrahovanjem, pejsaži su figurativni. Planine, vodopadi, jezera,imaju asocijativni karakter, ali podležu zakonu sile teže. Utisak lebdenja koji nam sugeriše nadrealnost predela postignut je igrom velikih belih površina u prvom planu i pejsažne |
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mase okružene sveprisutnom belinom pozadine. Ovakava topografija, ali zasnovana na dugotrajnom posmatranju prirode i metereoloških promena se vrlo često sreće u kineskim lavirunzima. Takozvana «plutajuća ostrva» su prisutna i u japanskim estampama ali i u savremenim japanskim animiranim filmovima. (Nezaboravan primer ovakve izmaštane geografije je Laputa: Dvorac na nebu Hayao Miyazakija). U isto vreme zavodljiva i intuitivna igra iznenadjenja nam dopušta da sami domaštamo da li se radi o izmeštenim, bajkovitim zemljskim ili pejsažima neke druge planete. Možemo primetiti da je kako na crtežima tako i na slikama primenjena strategija kolažiranja. Na slikama su izražena preklapanja raznih materijala sa različitim kvalitetima končanih masa dok su na crtežima vidljive super-pozicije i jukstapozicije često suprotnih textura i oblika koji nas asociraju na saća, na alge, na pipke podvodne biosfere. Ovakav pristup je kako piše Aleksandar M . Djuric suština postmodernog načina viizuelnog misljenja: «Od očekivane konstatacije da postmoderni kolaž nosi gotovo sve odlike postmoderne umetnosti, mnogo je značajnija i zanimljivija teza da se postmoderna umetnost po nekim svojim suštinskim odlikama zasniva na logici kolažnog prosedea».
Ali, šta zapravo čini strukturu ovih pejsaža? Priroda nam govori da su planine sastavljene od sedimenata davno umrlih zivotinja s jedne i stena i minerala s druge strane. Mesto prožimanja organske i neorganske materije. Brankica nam predlaže jedan drugačiji svet. Njene planine su sastavljene od živih mikroorganizama, jednoćelijskih ili višećelijskih struktura u stalnoj fluktuaciji i pokretu. Ovakve predstave prate misao američkog biologa i pisca Stephen Jay Gould-a : « Danas smo prinudjeni da gledamo na veličanstveni spektakl evolucije života kao na jedan skup dogadjaja krajnje neverovatnih, nepredvidljivih i neponovljivih».
Gledajući na ovakve slike pejsaža u stalnoj mutaciji i ubrzanoj evoluciji neumitno moramo postaviti sebi pitanje kakvi to čudni procesi utiču na stalne promene u prirodi, sta je mikro, a sta makrokosmos i koja je to tanka nit koja povezuje živi sa neživim svetom?
U slucaju Brankicinih radova to je konac koji kao katalizator i ujedinitelj formi i umetničkih fantazama daje njenom delu ne samo pročišćeni, estetski nego i univerzalni egsistencijalni karakter.
Bogdan PAVLOVIC
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Arts Magazine / Au fil du paysage / Dans les galeries par Jérôme Buisson 2009
Paysage de rêverie / texte Frédérique Paumier Moch 2009
Filanature / texte Bernard Point 2009
Une voyageuse au-dessus d'une mer de nuages / texte Nicola Marian Taylor 2009
Traveler above a sea clouds / texte Nicola Marian Taylor 2009
Ariane aux pays de merveilles / texte Bogdan Pavlovic 2009
Be-Art Website, Talents émergents / par Beatrice Chassepot, aout 2008
Cimaise / En ligne par Caroline Figwer, septembre 2008
Couture in progress / texte Tirer le fil / par Frédérique Paumier Moch 2006
Catalogue / Novembre a Vitry, Vitry sur Seine, 2005
Programmation / Eclat d’été, Riorges, 2005
Frends Magazine / Life&Style/ par Juliette-xiao juin Michaud, 2005
Journal de la maison / reportage Un charme discret par Catherine Cornille, 2005
Étapes / Agenda / Images filées par Lewis Blackwell, 2004
Paris-art.com / Fashion is everybody obsession par Josko Tomasovic, 2004
Paris-art.com / Beauty Room / Khaki Eternal par Josko Tomasovic, 2004
Paris-art.com / texte par Marguerite Pilven, 2004
Europeplusnet.com / Etrangères, plutôt deux fois qu'une par Nathalie Van Batten, 2004
Catalogue/ Biennale de la jeune création - Houilles, 2004
Kahki Eternal/ présentation tendances mode- Miss China Beauty, Paris 2004
Catalogue/ Vente aux enchères public- Million & Associes, Paris 2004
Catalogue/ Théâtre Vanves- saison culturelle, Vanves 2004
Catalogue/ Maison des art de Créteil – saison culturel, Créteil, 2004
Catalogue / 49e Salon de Montrouge – Montrouge 2004 - commissaire Nicole Ginoux
Catalogue / Jeune Création, Paris, 2004
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Catalogue/ A Plus/ Kolonie Wedding, Berlin, 2004
Programmation / 35 Centres et institutions culturels étrangers à Paris, Paris, 2004
Catalogue, CD Rom/ Les Innatendus, Paris, 2004
Zurban / C’est comme ça qu’on laine, article Marie-Anne Bruschi, 2004
Zurban / Déco / Néo Galerie, article Marion Dupuis, 2004
Télérama / Autres scènes / Mix par Cathy Blisson / Biennale de la jeune création, Paris, 2004
Catalogue / Novembre à Vitry, Vitry sur Seine, 2003
Oui Magazine / Palette passion par Anne-Marie Cattelain-Le Du, Paris, 2003
Oui Magazine / Couleurs par Anne-Marie Cattelain-Le Du, Paris, 2002
Catalogue CDRom / Diplômés de l’ENSBA, Paris, 2002 Paris Voice June 2001 Cityscan texte par Georgina Oliver, 2001 |
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Filanature, Maison des arts de Grand Quevilly, 2009
Ariane aux pays de merveilles, Galerie Chaos, Belgrade, 2009
Paysage de rêverie, Galerie 2.13 PM, St Cloud, 2009
Couture in Progress, Galerie 2.13 PM, St Cloud, 2006
Fashion is everybody’s obsession, Maison des arts de Créteil, Créteil, 2004
Eclat Château de Baulieu, Riorges, (Loire), 2005
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